Une voix de petite fille

UNE VOIX DE PETITE FILLE

Je voyage en TGV sur la ligne Nancy-Marseille pour aller rejoindre mon site de formation en Arles. (PROFAC). On ne se parle plus guère dans les trains… qu’on prend de moins en moins! A côté de moi, Geneviève. En deux mots nous sommes au coeur de mon sujet. Elle me demande:

–“Vous vous formez à l’art thérapie?”

Geneviève a gravi beaucoup d’échelons dans l’Education Nationale: enseignante de collèges en lycées, puis professeure d’université, attachée au laboratoire de recherche… L’art thérapie, ça lui parle immédiatement: elle connaît.

–“Mais alors, comment avez-vous découvert l’art thérapie?”

–“Dans la revue Psychologies, quand je vivais à Paris…

Geneviève inspire profondément puis lance, le regard éclairé:

J’ai trouvé que c’était… libérateur!

“Il y avait plusieurs adresses d’art thérapeute, j’ai choisi la plus proche de mon domicile. C’était le week-end, des sessions de deux jours, on y faisait principalement de la peinture… En fait, c’est un cheminement qui commence par une session “équilibrer sa voix par l’éducation de l’oreille”. C’était au début de ma carrière à l’université. J’étais prof dans l’enseignement supérieur. Dans le labo de recherche où je travaillais, on me disait que j’avais un genre de voix particulier: une voix de petite fille.

–“On”…?

–“L’épouse du chercheur! Je tairai son nom, vous comprenez?… Elle est psychologue… Ca m’a vraiment bouleversé. Ça me déplaisait beaucoup. Je me suis donc rendue au centre Tomatis, il y a un médecin qui soigne avec la musique de Mozart, et j’y ai suivi toutes les sessions pendant 3 mois. On écoute de la musique cependant qu’on dort ou que l’on dessine…

il y a avait des crayons de couleur, j’ai commencé à dessiner

… Ensuite j’ai pratiqué régulièrement l’art thérapie, une fois par mois. C’était de la peinture acrylique. Puis j’ai commencé à écrire sur des cahiers de brouillon, des pages, des pages… Je me suis arrêtée car je tournais en rond. Je souffrais beaucoup, mais je ne savais pas à qui le dire donc j’écrivais. L’écriture entretient la souffrance et c’était chronophage pour moi. Mais j’hésite encore entre l’écriture et le dessin.”

–“Et pourquoi pas mélanger les deux?”

–“J’ai besoin d’un modèle pour commencer sur quelque chose de concret. J’aime Cézanne, Van Gogh, Toffoly… Je reproduis les dessins que je faisais au centre Tomatis, je les agrandis, et je peins, avec beaucoup d’arbres en fleurs. Mais j’ai arrêté là-bas car ce n’est plus le même intervenant. Sur un thème à exécuter, je suis arrivée à un point de blocage: l’art thérapeute m’a conseillé des formes et des couleurs qui ne me convenaient pas, mais qu’elle trouvait nécessaires. Le blocage s’est amplifié jusqu’à la fin de la séance. De retour chez moi, j’étais en colère, en rage, contrariée qu’on soit passé à côté de moi sans rien voir. J’ai peins jusqu’à 4 heures du matin accompagnée de musique, de façon compulsive. Après cette journée malheureuse, c’était un vrai soulagement:

Enfin je fais ce que j’ai envie de faire, ce que j’espérais faire dans l’atelier!

Je voulais y trouver des conseils pour réaliser mon vase. (Le vase bleu, de Cézanne). Je l’ai offert au médecin qui l’a mis dans la salle d’attente. Et cela a été déclencheur d’autres tableaux, il suffit que j’ai un modèle qui me plaît pour me mettre à peindre.

Après les séances d’art thérapie, j’ai peins toute seule, puis j’ai cherché des cours du soir à la mairie de Paris pour apprendre à dessiner mais je n’aime pas les portraits au fusain, alors j’ai arrêté. Au conservatoire Maurice Ravel de Paris tous les arts sont représentés mais j’avoue que j’y suis un peu “rebelle”. J’y reste quand même! Les peintures que je fais chez moi ont été exposées à la mairie du 18ème, mais pas celles que j’ai faites en cours car je ne les finissais pas. Il y a eu un blocage, une femme avec ses amis personnels dans l’atelier, les nouveaux arrivants…”

Geneviève réalise subitement que cette situation de blocage correspond à la scène vécue des années plus tôt dans le laboratoire. Sa correspondance en gare de Lyon approche. Elle se lève et d’une voix ferme et douce, elle reprend:

–“Je pense que l’art thérapie n’est pas suffisamment connue- sauf dans le milieu de la psychologie. On y vient quand on est déjà en grande difficulté.”

Après avoir rassemblé ses bagages, elle ajoute sur le ton de la confidence:

–“En fait, j’ai été très malade cette année. Récidive de cancer avec un diagnostic tragique du médecin. Mais ça va mieux et je souhaite reprendre les séances d’art thérapie pour exorciser les souffrances passées.”

Puis Geneviève inscrit cette citation au bas de mes notes:

“J’écris parce-que je n’ai personne à qui parler” ( Tristan Bernard)

Merci à Geneviève (nom d’emprunt), professeure d’économie européenne appliquée en LEA, pour son émouvant témoignage qu’elle m’autorise à publier.