5. Une fin d’année à Séléné

Un salon tout enluminé, une table en fête désertée, des instruments de musique restés muets… En cette dernière Sélénite de l’année, nul ne s’aventura jusqu’au salon de Cunégonde. Celle-ci tournait en rond en lorgnant dangereusement sur la bouteille de gnôle. Menaçant d’être avancé à 18 heures , le couvre-feu portait à 135 euros l’infraction, 200 euros la récidive dans les 15 jours, et jusqu’à 3700 euros et six mois de prison au bout de trois escapades. Il contraignait donc les invité· e·s du Salon à passer la nuit à Jeûnecourt-sur-Fumier, un risque supplémentaire qui appelait prudence et réflexion davantage qu’enthousiasme libertaire. Fait sociologique: jamais les satellites n’avaient autant surchauffé dans les cieux nuageux, et le besoin de contact humain devenait totalement virtuel.

A 21 heures, le salon s’anima d’une constellation de Sélénites. Depuis Königsfeld en Allemagne, Aurore du Champ du Roi, ravie de retrouver sa langue maternelle longtemps inusitée, inaugurait la soirée avec «La cabane de Travexin de Francis Cuny» : c’est son acrostiche dédié à l’univers-maison du célèbre sculpteur vosgien. Dionysos de Profondis, pointant désespérément le micro de sa radio associative vers les pixels de Sélénites, oscillait sans le moindre son, quand il ne disparaissait pas dans un carré noir. Au bout d’une heure il rejoignait enfin l’équipage dans son rythme de croisière sur orbite lunaire, découvrant avec délectation des fées d’hiver sorties de la Forêt Noire et de celle Rambouillet, de la Cité des Images, d’Occitanie, d’une yourte en Vôge, et de gentils Aum vosgiens. Sa création spéciale «Le dieu qui perce les nuages» honorait cette avant-dernière nuit de l’année covidienne 2020.

«Vous en voulez encore?» Maître Dupont Verlémort de Ramonchamp pétaradait d’absurdités décapantes en salves qui n’avaient rien de superfétatoire pour l’époque. Puis il plongea simultanément dans l’écriture de «2999» avec un saumon à l’arc à souder et pas mal de tours de phrases hirsutes. Christophe Philippe servirait son conte futuriste au dessert, suivi de « Planplanète » en digestif, une courte nouvelle de son acolyte Vincent Decombis, rédigée lors d’un atelier d’écriture sidéral avec la langue de travers.

« Des éclairs comme des rivières qui se glissent au creux de ses montagnes » Made Moselle Ange apparaissait comme une bulle de savon dans l’Éther. Elle lança en boule de bowling sa poésie intuitive sur les petites percussions de la baronne de la Tronche en Biais. A cheval sur le Tarn et l’Aveyron, en reconversion professionnelle pour le métier de marchande de bonheur, celle-ci voyageait contre couvre-feux et confinements à la recherche du Graal où prendre racine pour le restant de ses jours. Son boa de plumes noires fiché en toque de pasionaria sur la tête ravivait en fond de gorge ses vocalises d’ancienne cantatrice inconnue, démariée à un célèbre violoniste de Hambourg.

Reine de Rambouille offrit quant à elle un haïku porte-bonheur en quelques mots pur laine qu’elle illustra par une douce histoire d’amour véritable avec une brebis. De Remiremont, Secundino laissait apparaître ses peintures vives aux traits de bolide, et il conseilla Zeitoun Bloom pour l’organisation de sa première exposition. De sa nouvelle vie où il s’était mis à peindre, le spinalien révélait pour la première fois ses toiles à un public inconnu. Avant de tirer sa révérence, Taclapointe enfonçait le clou de son spectacle, annonçant des talents multiples: chant, piano, théâtre, peinture… Et Marie des Sources apparut aux Sélénites : la sculpture sur bois s’inspire des Hautes-Vosges natales de Françoise Schwellnus, qui participe en ce moment à une exposition virtuelle de la ville de Königsfeld avec ses gravures irradiantes.

Une flopée de vœux pour 2021 fut jetée par les Sélénites dans l’espace, comme origamis de grues déplaçant les montagnes et volée d’hirondelles pour devancer le printemps.

Hildegarde la Gaude et Amous

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