19. Pacifistes Sélénites à la farce de Cancrelous

“Hommage” : tous les musiciens se retrouvent dans ce premier texte d’André Larivière, ouvrant le bal de ses chansons dans le cœur de la nuit sélénite. L’invité s’était fondu en douceur dans l’ambiance pour le moins spéciale de ce salon littéraire et artistique: Swami Véranda goûte avec émerveillement l’effet de décalage entre dithyrambe stylistique et splendeur sélénite.

Il vient d’ajouter 500 bornes au compteur de sa camionnette jaune soleil à coucher dedans, bien isolé du froid et des radiations nucléaires, pour rallier sans péage le Nord-Est depuis la Haute-Loire, son pays d’adoption. Le très vert septuagénaire, belle voix douce et verbe fleuri, est originaire de l’Hugbeckistan, là où le corps à corps fraternel de l’Amérindien se mêle au bisou du Québécois. C’est que l’arrière-grand-mère maternelle de ce jardinier nomade est Iroquoise. Lors! Le fameux vétéran du militantisme écologiste et antinucléaire vient pour embrasser la Cunégonde au prix enflammé d’un carburant qui s’affole avec la guerre presque nucléaire en Ukraine. Le sujet est si grave, et l’heure de la rencontre si légère, que seul Dionysos de Profundis avance en toute incertitude un funeste poème d’où surgit Mars en dieu de la guerre- à se demander si la Lune aurait besoin d’un suppositoire à l’iodure de potassium. Mais non, de sa superbe, l’astre sélène vient de recevoir les vibrations chantées des Sélénites en rond, rassemblés sous son aura magnétique. Depuis la commune d’Azerailles, entre Fontenoy-la-Joûte, le village du livre et Baccarat, la ville du cristal, Odile Kennel prépare son retour après deux ans d’hibernation covidienne pour un de ses ateliers d’écriture très prisés; deux séries de ses collages font mine d’exposition temporaire au mur du salon. Autour de minuit, Candide Askalie envoie ses pensées sélénites par texto: elle s’est fait embringuer par le dernier Goncourt vosgien dans une soirée imprévue, suite à la lecture par Amélie Armao du nouveau livre de Nicolas Mathieu, “Connemara”, au Moulin des Lettres- un événement soutenu par le MUDAAC. Au banquet, face à deux fromages massifs, Munster blanc fermier et Cantal Entre Deux, l’hôte s’empare d’une historiette dénichée dans le dernier ouvrage d’André Larivière, “Les cancrelous”, d’où “les étoiles crachent leur feu bouillant jusqu’à fondre les atomes dans le vide intersidéral proche du zéro absolu- moins 273,15°C (…) tandis que conflits égotiques et luttes de pouvoir exacerbent de sempiternelles mesquines querelles, justifiées bien-sûr par de beaux grands principes et idéologies”: la farce cosmique avait saisi l’auditoire quelques heures plus tôt, lors de la rencontre-dédicace de l’auteur. “Tout tourne autour de tout dans le vide incommensurable, catapulté en ellipses aux destinations incertaines à vitesses astronomiques- tandis que nous nous sentons rassurés d’avoir les pieds solidement ancrés au sol, tout en notariant nos petits lopins de terre.”

Un zèbre haut-marnais flanqué d’un accordéon minuscule se régale en bout de table de grandes plâtrées de munstiflette sans lardons. (Banquet végétarien: depuis plus de 50 ans, Swami Véranda “ne mange pas de ce qui proteste ou fuit” selon la formule de Lanza del Vasto, philosophe italien, apôtre de la non violence). George Latour des Mages, venu s’égarer par ici, est soudain mis en demeure gracieuse d’envoyer quelques vers. Il souffle les auditeurs avec “sombre amour”, un beau poème inspiré par le Pont des Fainéants dans sa ville de Châlon-en-Champagne. “Primé” précise-t-il avec une fierté jouvencelle ignorant toute fausse-modestie, son poème qui remonte à la classe de quatrième le propulsa dans le désir de faire un métier pas comme les autres. Après quelques mauvaises pistes, il avait pris la voie royale des arts du cirque et s’y épanouissait comme une belle fleur. A côté de lui, Che Gai Cucurbitacée, un énorme trousseau de clés ostensiblement suspendu sur la braguette de son jean, disparaît légèrement sous la table, amarré à son chapelet de bois comme à un grigri de sauvetage en plein apocalypse. Il cherche à échapper aux mots qui soudain lui manquent. Cadavre exquis! D’abord boudé comme un vieux plan de fin du monde sélénite, les convives jouent le jeu de Jacques Prévert au risque d’un naufrage soporifique évité de justesse. Pas pour Kiko Koori du Cosmos, qui sombre littéralement dans les bras de Morphée. Après avoir gratté en boucle deux accords sur sa nouvelle Dobro customisée, dans un dialogue de sourd avec Euterpe au terme d’une lunaison entière dépourvue d’un vrai sommeil, voilà qu’il tombe comme une météorite dans l’assiette. Un poème de Béatrice Marchal, une “ouverture minérale” par Philmo, lue dans un choeur approximatif comme une possible reconsidération de la condition humaine, suivie d’un laius sidéral qui se répand comme un fleuve irreprescible et tumultueux sur les convives; des interrogations triviales sur la femme nue de Secundino collée dans tous les sens au mur du salon, et sur l’état physiologique du peintre quand il est à l’ouvrage…

Coup d’esbroufe illusionniste au salon! Sans faire sortir des constellations de son chapeau ni décrocher la Lune, George Latour des Mages suspend le temps sélénite avec un simple jeu de cartes; l’art de la manipulation opère à tour de bras, et ça n’a rien de politique! C’est tout simplement magique! Poudre d’étoiles dans les regards estourbis… Arrivent quelques textes en exclusivité dans le milieu de la nuit, avec l’avant-première de “Méandres”, tandis que le prochain livre d’André Larivière, “Ouaouaron sur Baobab” est déjà paré pour la publication. Des papiers de ce philosophe sans en avoir l’air qui se décrit comme un faiseur de petite littérature, surgissent alors des “décadents lucides”. Et puis “beau néant de la toponymie géographiquement introuvable”, presque à l’image de Jeûnecourt-sur-Fumier, voici “Pétaouchnock”! Poussant le bouchon de la gaillardise un peu plus loin, en se torchant joyeusement de tout effet de religion, il associe des phylactères avec un lieu corporel aussi perdu que le trou du cul du monde, dans un “Sphincter Alléluia” prompt à réveiller toute la rédaction de Charlie Hebdo. La rime est riche, “ça place bien les choses” s’esclaffe le bonhomme. Puis la guitare de Swami Véranda accompagne sa belle voix sensible pour des chansons douces- quelques interprétations comme “les gens qui doutent” d’Anne Sylvestre et des compositions personnelles vont bercer toutes les étoiles de la nuit. Sur la terrasse, on fume à la Lune, ronde et profonde. A deux mille kilomètres vers l’Est, un pays est envahi par un dictateur hégémoniste, et la guerre, pas encore nucléaire, est une menace tangible du pire des scénarii sur la planète bleue. Éphémère est le thème de ce printemps des poètes en ce mois martial. La nouvelle saison regorge de luttes primordiales et de quelques cœurs éveillés pour planter de nouvelles graines et garder les yeux bien ouverts.

Hildegarde la Gaude et Amous.

À suivre