Un enfant du pays prénommé Gaston

HAGÉCOURT: UN ENFANT DU PAYS PRÉNOMMÉ GASTON

En 1944, peu après le débarquement des Alliés en Normandie, qu’est-il donc arrivé à Gaston Poirson, l’enfant rebelle du pays à la destinée si cruelle? Et pourquoi son histoire a mis soixante-dix ans pour ressurgir parmi les habitants de cette petite commune de la plaine des Vosges aux cent vingt-quatre habitant.e.s ?

Gaston Poirson Gaston Poirson (24/04/25 - 27/04/45)

Au deuxième acte du confinement national, le monument aux morts est presque déserté: dépôt de gerbe en comité restreint, tandis que la célébration mobilise toutes les cloches de l’Église St-Hilaire. Le jour du Souvenir pour les Français qui ne sont pas revenus, l’armistice du 11 novembre 1918 commémore toutes les guerres du siècle le plus inhumain de toute l’histoire de l’humanité. A Hagécourt comme partout ailleurs en France, les drapeaux se lèvent mais les festivités sont en berne, le traditionnel vin d’honneur est remis aux Calendes Grecques.

Revenons en arrière, peu après la Libération, seconde guerre mondiale. On imagine le climat délétère, sur fond de dénonciations, soupçons, amours coupables, marché noir, collaborationnisme et retours de veste, vrais ou faux «héros», «déserteurs» vilipendés. On devine les sentiments de honte et de fierté, le chagrin des endeuillé·e·s, l’amertume et la jalousie sournoises, le syndrome du survivant, le soulagement d’en avoir fini et de redevenir pour de bon Français.e.s…

Un titi de campagne aux allures de Gavroche

«C’est quand même pas normal qu’il soit au monument aux morts, il n’a pas combattu». Voilà les commentaires d’époque qui fleurissaient dans la bouche de certain·e·s villageois.e.s, affleurant la minute de silence parmi les gerbes déposées au monument le jour du Souvenir. Aujourd’hui encore, des objections subsistent: «Ah oui, celui qui s’est fait descendre quand il revenait de jouer aux quilles!»

Gaston, c’est un gamin frondeur, un titi de campagne aux allures de Gavroche, né le 24 avril 1925 dans une famille de dix-sept enfants. Ses parents fabriquent des pièces pour violons. Son père, Charles Poirson, a rencontré Jeanne à Paris au cours de son compagnonnage. Installés à Hagécourt, le luthier fabrique des caissons de violon, et sa femme se charge du vernissage, puis les pièces sont apportées à Mirecourt. En 1943, c’est la France de Vichy. Au cours de l’Occupation par l’Allemagne nazie, dans son village bien au nord de la ligne de démarcation, Gaston vient d’avoir dix-huit ans. Il n’y a plus d’armée, le service militaire consiste à s’enrôler dans le STO, à moins d’être fusillé. Ce «service du travail obligatoire» réquisitionne et transfère de l’autre côté de la frontière des centaines de milliers de travailleurs français afin de participer à l’effort de guerre allemand.

Planqué à la source Claudel

Des soldats allemands logent dans une maison vide qu’ils ont forcé à l’entrée d’Hagécourt. Réputés fêtards, ils ne dérangent guère la population. Leurs armes qu’ils déposent en croisillon chaque soir font rêver les gosses qui s’inventent le courage d’aller leur chiper. Gaston ne veut pas du STO. Il est porté disparu, avec un camarade qui lui survivra : Robert ou Jeannot ? Son identité à ce jour n’a jamais pu être confirmée. Ils se planquent en rêvant du maquis. Comme d’autres, ils ont eu vent de la Résistance qui s’est organisée à Grandrupt. Avec la complicité de certains villageois, Gaston dort dans un abri semblable à une cave : sur un terrain privé derrière l’école de filles, une descente élargie permet d’accéder à la source Claudel. Située en plein cœur du village, la source alimente deux de ses quatre lavoirs. Chaque jour, ses jeunes sœurs lui portent un repas dissimulé dans un pot de chambre. Plus d’un an a passé, quand les Alliés débarquent en Normandie le 6 juin 1944. Gaston baisse sa garde. Il parle haut.

- les Allemands je les emm…

- cause moins fort.

L’ancien aiguilleur de train revenu de la guerre de 14-18, qui l’a pris en amitié, lui conseille de se faire tout petit. A la fin de l’été, ils ne sont toujours pas là, mais l’allégresse inspirée par la progression des Alliés donne des ailes au jeune homme. “Quand les Américains vont arriver, j’irai avec eux et on ira casser la gueule aux boches.”

Une flaque de sang sur la route, c’est tout

En ce 28 août 1944 avec son compère il part en vélo pour jouer aux quilles au pays voisin. A leur retour, c’est l’embuscade. Une voiture inconnue s’est garée au croisement de la Gargasse, juste à l’entrée du village. Deux civils se sont planqués derrière le talus. Le compère de Gaston a pu déguerpir, il s’est réfugié longtemps au bois Banal, jusqu’à la Libération. Gaston est matraqué sur place. Une flaque de sang sur la route, c’est tout ce qu’ont trouvé les quelques hagécurtiens alertés par ses cris. On le crû mort, mais on ne savait pas. Douze ans plus tard, en 1952, les ossements de Gaston furent rapatriés par une voiture noire en provenance d’Allemagne. En dix minutes de formalités administratives, ce fut plié. Le maire de l’époque prononça pour la maman ses condoléances : «Maintenant qu’il est dans une caisse, t’iras pas voir si c’est ses os ou un tas de cailloux».

De la Vierge au camp du Struthof, du camp de Mauthausen à celui d’Ebensee

Le jeune homme fut emmené à La Vierge à Épinal, au Kommandantour, siège départemental de la police allemande, où le Maquis de Grandrupt vécu comme lui les affres d’interrogatoires sadiques et zélés. Matricule 131738, deux jours plus tard, Gaston est conduit dans le camp de concentration nazi de NATZWEILER-STRUTHOF, dans l’Alsace alors annexée. Environ 65 000 personnes y périrent, dont 27 000 de confession juive, sur les 110 000 à 127 000 qui y furent déportées. A l’approche des Alliés le seul camp bâti sur le territoire français sera évacué par les nazis le mois suivant l’arrivée de Gaston en septembre 1944, et il fut le premier camp de concentration découvert par les Américains, le 23 novembre 1944. Qu’est-il advenu de Gaston dans l’intervalle? Cinq mois après son arrivée au Struthof qui vient d’être démantelé, le 08/02/45, les archives attestent que le matricule 131738 est déporté en Allemagne à trente km au nord de Berlin, dans le camp de concentration nazi SACHSENHAUSEN. La semaine suivante il est déporté en Autriche à MAUTHAUSEN, non loin du Danube. La gare, la forteresse, le réseau de camps annexes, furent “ l’un des terminaux de cette géographie de l’asservissement et de la mort”. (Daniel SIMON, Président de l’Amicale de Mauthausen, le troisième monument, novembre 2007)

Les camps forment l’un des plus grands grands complexes concentrationnaires nazis, qui furent parmi les derniers à être libérés par les Alliés. D’août 1938 à mai 1945, entre 190 000 et 197 000 détenus sont passés par le camp de concentration de Mauthausen ou l’un de ses camps annexes. 100 000 à 115 000 d’entre eux n’ont pas survécu. Mauthausen est l’un des camps les plus durs à l’intention des « ennemis politiques incorrigibles du Reich ». Gaston matricule 131738 passe cinq semaines dans le camp central puis il est affecté au kommando de Wels, probablement dans le nouveau camp de travail de l’usine d’armement qui ne sera en fonction que trois semaines. Finalement il échoue en Avril au kommando d’Ebensee, un autre camp de travail forcé, la pire annexe de Mauthausen, à une centaine de kilomètres du camp central où se creusent des tunnels dans la montagne, avec raffinerie de pétrole et usine d’armement. Son commandant est un SS mentalement malade, qui ne fournit ses sentinelles en tabac que s’ils abattent leur quota quotidien de prisonniers. Aux derniers jours de la guerre, 350 hommes périssaient par jour.

Progressivement les camps de concentration en Allemagne sont libérés, notamment par l’armée Rouge, qui n’est pas encore arrivée jusqu’en Autriche. Le jeune homme vient tout juste d’avoir vingt ans quand il s’éteint, après 8 mois de calvaire. Le 27 avril 1945, Gaston Poirson est mort dans des conditions indéterminées, neuf jours avant la libération d’Ebensee par l’armée américaine, dans l’un des tout derniers camps de concentration nazi à être libéré, trois jours avant la capitulation officielle de l’Allemagne.

Les soupçons d’après-guerre s’orientèrent sur un homme qui écopa de sept ans de prison à Clairvaux pour intelligence avec l’ennemi, et l’hypothèse d’une erreur judiciaire plana tandis que d’autres familles collaborationnistes arrangeaient leur col. Un autre homme fut déserteur et il mourût en essayant de franchir la ligne de démarcation. Il s’appelait Ardesi. «Un Italien, mais lui, on n’en parle pas; c’était pas le maquis, il voulait juste échapper à la guerre et il est passé sous les roues du train.» Malgré toutes les atrocités des guerres, la célèbre chanson de Boris Vian datée de 1954, “Le Déserteur” ne s’entend guère dans nos campagnes et provoque encore beaucoup d’incompréhension.

Gaston Poirson «mort martyr pour la France»

Si le nom de Gaston Poirson figure sur le monument aux morts en lettres d’or avec deux autres victimes de la deuxième guerre mondiale, il n’évoque rien de particulier aux villageois.e.s : d’aucuns ne savent pas s’il a une sépulture, et sur sa tombe, perdure une belle photo sans nom, ni date. Même les précédents maires ignoraient son martyr. Ce sont les archives et le patient travail de mémoire d’ancien.ne.s déporté.e.s et d’historien.ne.s qui attestent de l’itinéraire mortifère de Gaston, jusqu’à son dernier voyage à vingt ans, à la fin de la seconde guerre mondiale.

Depuis 2014, le maire du village réhabilite l’enfant du pays dans la mémoire collective. De « mort pour la France », Gaston est devenu « mort martyr pour la France ». Le nouveau square qui a fleuri cette année à l’entrée du village accueillera une aire de jeu pour les enfants, dédiée à Gaston Poirson, soixante-quinze après sa mort. La cérémonie officielle est reportée à 2021 en raison du confinement.

mpg- 11 nov. 2020.

article paru dans l’Echo des Vosges et sur le blog de l’Union des Ecrivains Vosgiens

sources principales

le petit- fils de l’aiguilleur, maire d’Hagécourt

Mémoire des Déportations

Mémorial de la Shoah

l’encyclopédie libre Wikipédia

Monument Immatériel de Mauthausen:

POIRSON Gaston né le 24/04/1925 à Mirecourt (88) - France

Matricule : 131738

AVANT LA DÉPORTATION

Lieu de résidence : Hagécourt (88) - France
Profession : Manœuvre

DÉPORTATION

Lieu de départ : EPINAL, le 28/08/1944
Déportation : NATZWEILER-STRUTHOF, le 30/08/1944
Déportation : SACHSENHAUSEN, le 08/02/1945
Déportation : MAUTHAUSEN, le 16/02/1945
Les déportés arrêtés après les débarquements

PARCOURS AU SEIN DU COMPLEXE CONCENTRATIONNAIRE : AFFECTATION AU CAMP CENTRAL ET KOMMANDOS EXTÉRIEURS

Affectation : WELS, le 25/03/1945
Affectation : EBENSEE, le INCONNUINCONNU/04/1945

DÉCÈS

EBENSEE, le 27/04/1945